Altération et érosion des minéraux.

Permettez-moi d'introduire le sujet par un souvenir d'enfance.
Quand j'étais gamin, à Aix (chez nous, personne ne dit "Aix en Provence", on trouverait ça ridicule), j'ai eu le temps de bien les observer, les vieux bâtiments du vieil Aix, tous bâtis en calcaire coquillier plus ou moins fin, et certains même en safre, ce grès tendre calcaire si facile à tailler, et si prompt à tomber en poussière, et on y taillait dans le temps des tabatières, comme le raconte Giono. Je me souviens de l'hôtel de la mûle noire, ruiné de partout, on le croyait hanté, à force d'accidents, et plus personne ne voulait reprendre le chantier.


Pendant toute mon enfance, je les ai côtoyé, je les ai frôlé et frotté, ces murs sans âge où la patine côtoie la ruine. Je n'y comprenais rien, et durant ces années, voyant ces murs noircis, effrités et lépreux, je me demandais pourquoi et comment, et pourquoi dans certaines rues et pas dans les autres ? et toute sorte de questions de ce genre auxquelles personne ne pouvait me répondre. Je me détournait donc de ces sujets insolubles et ne pensais pas m'intéresser un jour à vouloir comprendre sérieusement ces choses. Les cailloux des chemins et les murs des restanques, noircis souvents, et couverts de lichens gris, parfois aussi jaunes ou rouges.


Et puis, il y a quelques années, dans un charmant village de Dordogne où j'ai mes habitudes, j'ai eu la bizarre impression que cette érosion avait pris une dimension inhabituelle. Mais depuis quand ? J'étais incapable de le dire mais quelque chose avait suffisamment changé pour que je finisse par le remarquer. J'examinai alors de plus près les zones de rocher et de maçonnerie paraissant endommagées et je commençai à en reconnaître un peu partout et sous plusieurs formes.



L'accélération de l'érosion des minéraux exposés à l'air libre semble scientifiquement établie depuis 1964 (  ATTAQUE BACTÉRIENNE DES PIERRES DES MONUMENTS par M. J. POCHON, Dr en Sciences & Dr en Médecine, Chef de Service à l'Institut Pasteur.  Conférence faite le 4 juin 1964 à la Société d’Encouragement pour l'Industrie nationale).
  Cette accélération s'est elle aggravée depuis et dans quelle mesure ?  Qu'elle est depuis cette époque l'accélération de la dégradation des sites rupestres préhistoriques et de tous les monuments constitués de minéraux ?


Je tiens à bien préciser que ces types d'altération du minéral n'ont, je pense rien de nouveau ni d'exceptionnel et qu'il s'agit probablement des mécanismes ordinaires d'altération et d'érosion des parois rocheuses, mais que c'est la vitesse de progression des lésions qui me parait inquiétante.


Par endroits, le calcaire est attaqué en lignes grossièrement parallèles, selon les lits de sédimentation, je suppose, et une fine poudre jaunâtre, couleur d'origine de ce calcaire, se trouve alors à l'extérieur, juste au bord inférieur de ces lits sédimentaires, dont l'espace intersticiel est comme creusé dans la profondeur du rocher, l'ensemble pouvant évoquer des lasagnes ou un millefeuille, selon les préférences.


L'attribution de ce type de délitement en plaquettes aux phénomènes de gel et de dégel est l'explication la plus populaire parmi les explications habituelles du mécanisme de formation et d'évolution des abris sous roche. Or j'ai constaté ce phénomène de délitement pendant toute l'année et particulièrement en plein été.


Que le gel hivernal, suivi du dégel habituel, ait un rôle dans la cassure détachant la plaquette du substrat, je pense que c'est certain, mais ce qui me semble désormais plus que probable, c'est que l'opération initiale de creusement en profondeur dans le lit entre deux plaquettes ne semble pas être dû à l'action du gel, et particulièrement en plein été, où les températures sont restées plutôt douces ces dernières années.


A d'autres endroits, beaucoup plus nombreux, il me semble, c'est la surface de la paroi calcaire qui est attaquée et qui semble rongée comme par un acide, présentant une surface rugueuse formée d'une grande quantité de micro-cupules contiguës, de taille plus ou moins millimétrique et de formes assez comparables. C'est un aspect très différents de la surface habituelle de cette roche sur ce site, où elle est généralement beaucoup plus lisse, colonisée par des algues bleues, et d'autres espèces et des lichens d'espèces et de couleurs variées.


Pour celles que j'ai observé à l'oeil nu, la surface de ces lésions superficielles est comprise entre quelques millimètres carrés et plusieurs dizaines de centimètres carrés, mais je me demande si je ne devrais pas soupçonner désormais les grandes traces claires verticales  sur la paroi haute des falaises, de plusieurs mètres carrés parfois, grandes traces claires jouxtant de grandes traces sombres, d'être elles aussi peut-être des lésions superficielles du calcaire, les traces sombres étant bien sûr des colonies d'algues bleues. 


Jusqu'à présent, j'avais toujours pensé, sans aucune preuve, que les traces verticales claires, de la couleur naturelle de la pierre, étaient probablement des zones qui n'avaient pas encore été colonisées par les algues bleues, mais maintenant, après avoir attentivement observé des lésions érosives dans des zones de la paroi où elles sont plus facilement accessibles, j'en viens à penser qu'il faudrait aller vérifier et photographier sur place et de près, en hauteur, pour se faire une idée précise de l'aspect de ces zones de couleurs différentes, car je pense possible et même probable que ma première idée fût entièrement une erreur et que ces zones claires soient en fait des zones où quelque chose a fait disparaitre les algues bleues qui s'y trouvaient précédemment.





Ces altérations et l'érosion en résultant concernent tous les minéraux exposés à l'atmosphère, tant les rochers de forme naturelle que ceux qui ont pu être gravés et sculpté par les humains, préhistoriques et historiques.


Bien entendu, tous les bâtiments construits en minéraux y sont eux aussi soumis, et leur grand nombre dans les régions habitées fournit aux curieux cherchant à comprendre le détail des causes d'érosion une immense quantité et variété de sites d' observation facilement et librement accessibles.


Il me paraît important de garder présent à l'esprit que toutes ces causes et conséquences d'érosion que l'on voit beaucoup en surface apparente, sur le parement des murs, concernent aussi les surfaces des pierres cachées à nos regards, les faces jointives des moellons, leurs faces internes, ainsi que toutes les faces des pierres de blocage constituant le remplissage des murs de maçonnerie ancienne, dès lors qu'elles sont ou qu'elles deviennent en contact avec l'air atmosphérique. Quand les bactéries lithophages ont suffisamment disjoint les éléments constitutifs du mur, il n'est plus qu'un empilement précaire de matériaux indépendants que le moindre choc, ou simplement leur propre poids, finit par répandre en tas sur le sol.


Ces observations et réflexions au fil des années m'amènent à penser qu'il s'agit probablement là de la principale cause naturelle de dégradation et de ruine des architectures bâties en minéraux et me font rejoindre l'opinion de l'architecte Jean Fontaine que la mode des murs en pierre apparente est très nuisible à la conservation des bâtiments anciens.


(L'aspect un peu décousu de certains de mes articles vient du fait que j'y compile plusieurs de mes textes inédits. Je les réécris et les modifie souvent.)


Ébauche de bibliographie :

ATTAQUE BACTÉRIENNE DES PIERRES DES MONUMENTS par M. J. POCHON, Dr en Sciences & Dr en Médecine, Chef de Service à l'Institut Pasteur.  Conférence faite le 4 juin 1964 à la Société d’Encouragement pour l'Industrie nationale.



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